« Zéro enfant à la rue ». Vraiment ?
Tel était l’engagement du gouvernement en 2022. Et pourtant, le constat est accablant : à la veille de la rentrée scolaire 2025, au moins 2 159 enfants, dont 503 de moins de 3 ans, sont resté.es sans solution d’hébergement après un appel au 115 (numéro téléphonique d’Urgence Sociale), comme l’indique le baromètre UNICEF France « Enfants à la rue ».
Malgré les promesses répétées des gouvernements successifs, la situation s’aggrave année après année. Ces chiffres marquent en effet une augmentation de 6% du nombre d’enfants sans solution par rapport à 2024 et de 30% depuis 2022. Par ailleurs, la très grande majorité des personnes en famille (79%) indique avoir dormi à la rue la veille de leur appel au 115, confirmant l’ancrage des parcours de rue.
Ces chiffres ne sont pas pour autant exhaustifs : de nombreuses personnes ne recourent pas ou ne parviennent pas à joindre le 115. De plus, les mineur.es non accompagné.es (MNA) sans abri et les familles vivant en squats ou en bidonvilles ne sont pas comptabilisé.es.
Au Havre, le RESF (Réseau Education Sans Frontières) a dénombré à la rentrée 2025 plus de quatre-vingts enfants sans logement fixe. Sans compter celles et ceux dont les familles ne font pas appel au 115 mais ne disposent d’aucun revenu, ou encore ceux dont les parents, déboutés de leur demande d’asile, se trouvent dans l’attente angoissante d’une expulsion de CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile).
Beaucoup d’entre elles et eux grandissent dans la rue depuis maintenant plusieurs années. Certains y sont né.es. Les effets sur leur santé physique et mentale sont dramatiques.
En cause : l’avancée des discours d’extrême droite, validés par l’Etat
Ces chiffres sont la conséquence du durcissement des lois migratoires sous les gouvernements Macron. La dernière loi « asile et immigration » de Darmanin, la 28ème loi en 30 ans, a pour objectif de rendre la vie impossible aux migrants et migrantes. C’est une véritable traque qu’ils et elles subissent chaque jour. L’ex ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les prises de parole haineuses, n’hésitant pas à remettre en cause « l’état de droit », affirmant sa volonté de vouloir mettre un « coup d’arrêt au désordre migratoire car la France n’est pas un hall de gare »…
Ce durcissement des lois n’a pas diminué le nombre de sans papiers mais elle a banalisé les propos racistes et développé la peur de l’étranger.e.
Et pourtant, la France est signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et a voté l’article L345.2.2 du Code de l’Action Sociale et des Familles, qui garantit que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence» censé lui assurer dans la dignité l’accès au gîte, au couvert, à l’hygiène et aux soins ».
Mais sur le terrain les dispositifs d’accueil d’urgence sont saturés. L’Etat refuse de financer les places nécessaires, préférant apporter des solutions d’hébergement ponctuelles et inadaptées aux besoins des familles, les maintenant dans des situations indignes et d’extrême précarité : une nuit en hébergement d’urgence, 3 nuits en foyer, et lorsque le 115 ne répond pas ou n’a plus de places à proposer, la rue…
De la même façon que l’Etat, en durcissant les conditions d’obtention et de renouvellement de titres de séjour, fabrique des Sans Papiers, il fabrique des Sans Abris.
Quels moyens d’action ?
A Lyon, Rennes, Poitiers, Paris ou Strasbourg, des collectifs et associations s’organisent et font pression sur les pouvoirs publics pour trouver des solutions d’hébergement. A Rouen, le collectif des jeunes mineur.es et majeur.es isolé.es a obtenu avant l’été la mise à disposition de locaux par la municipalité.
Au Havre, fief d’Edouard Philippe, hors de question selon la mairie de réquisitionner des logements vacants pour mettre à l’abri les familles à la rue. Afin de les soutenir et de porter leur voix dans une période où il est devenu risqué pour les sans-papiers de se faire remarquer, le RESF, en lien étroit avec les associations locales, maintient la pression : sensibilisation du grand public, intervention au Conseil Municipal, audiences avec des élu.es ou à la Sous-Préfecture, saisine du Défenseur des Droits…
Le 17 novembre, le RESF a organisé un stage pour informer sur le quotidien et les droits des enfants et de leurs familles, connaître les dispositifs utiles et échanger sur les actions à mettre en place pour leur venir en aide, mais aussi informer sur la notion de « devoir de réserve ».
En effet, 8 mois après que deux enseignantes de Tours ont été mises en cause dans le cadre de l’occupation d’un collège pour mettre à l’abri les 32 enfants non pris en charge ce soir-là par les services d’hébergement d’urgence, il apparaît que porter assistance à des enfants à la rue constitue pour certain.es un acte de délinquance. Il n’y a pas de délit de solidarité !
Force est de constater qu’avec plus de 60 participant.es, ce stage a confirmé la volonté des enseignant.es et acteur.ices associatif.ves d’agir en toute solidarité aux côtés des enfants et de leurs familles sans papiers et sans hébergement, victimes de mesures d’extrême droite déshumanisantes.
L’action collective porte ses fruits
Le 11 décembre dernier, grâce à l’acharnement des collectifs et associations et en accord avec les recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, de la Commission d’enquête parlementaire sur la protection de l’enfance et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, les député.es ont voté une loi en faveur de la présomption de minorité des Mineur.es Non Accompagné.es. Concrètement, cette loi permettra à des centaines de jeunes de sortir de la rue et d’être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, mais aussi d’accéder à la scolarisation qui leur était refusée. De plus, un amendement stipule la suppression des tests osseux tant décriés depuis des années pour leur manque de fiabilité.
Aussi sera-t-il décisif de soutenir cette loi lors de la prochaine étape : son examen par le Sénat.
Charline Branellec, RESF Le Havre
Pour joindre le RESF Le Havre : resf-lh@proton.me
instagram : resf.lh
facebook : Resf Le Havre
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